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Constellation 

CARTIER SANTOS : Le crime symbolique de SDM

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ARTICLE I : LE CRIME SYMBOLIQUE DE SDM (PARTIE I)

 

Sorti le 23 janvier 2025, le clip CARTIER SANTOS du rappeur SDM a été réalisé par Loïc Foulon. Produit par la société Kaïros, le clip nous plonge dans les méandres abyssales  des amours vénéneuses, soulevant de lourdes questions sur les relations hommes-femmes, les dynamiques de pouvoir, et les violences en tout genre.


Si j’ai beaucoup aimé le titre Cartier Santos, je reste mitigée face au clip. Dans un premier temps séduite par la beauté des images, j’ai rapidement déchanté face à la portée du message… Ou du moins la façon dont il est véhiculé. 

 

Analyse.

 

Cœur de pierre


On plonge dans un décor sombre, clinique. Froid, métallique. Un espace clos, presque luciférien. La colorimétrie est belle, mais les couleurs sont obscures. Le décor est lugubre et angoissant. Étouffant. Le gris, le noir et le blanc trônent en couleurs maîtresses de cet environnement. Un huis clos, un temple de pierre, dont la dureté métallique s’accorde à la direction artistique d’ ALVALM, l’album de SDM. Ce décor de fer est le théâtre d’un enfer, qui va progressivement se dérouler sous nos yeux. Dans Cartier Santos, l’auteur raconte l’enfer qu’il vit dans une relation toxique. Le calvaire de s’unir à une femme vénale, une dame vénéneuse.

 

Pour illustrer son propos, SDM utilise la métaphore du serpent, allégorie de cette femme. Plus précisément, il explore le mythe de Medusa, selon le prisme de sa blessure narcissique. Une douleur aveuglante et pétrifiante.


La femme vénéneuse incarne Medusa, une nymphe de la mythologie grecque, connue pour sa chevelure serpentine et son pouvoir de pétrification. En effet, Medusa, appelée aussi la Gorgone, a des cheveux faits de serpents, ainsi qu’un regard perçant. Un regard qui a le pouvoir de pétrifier tous les malheureux qui le croisent. Dans cet espace sombre, la belle Medusa règne en Reine des Cœurs, venimeuse et fatale, vénéneuse car « vénale ».  

 

Une belle femme noire trône. Divine, sublime, majestueuse… Sensuelle. À la fois ténébreuse et lumineuse. Irréelle. Cette déesse est ornée d’une chevelure argentée, délicatement tressée. Elle porte une robe noire en cuir et un maquillage d’argent. Son regard est saisissant. Elle a les yeux d’un serpent.

 

Déesse serpentine, l’archétype de la Femme Fatale

 

Cette déesse est entourée d’hommes, de toutes origines, de différentes cultures, tous épris d’elle et subjugués par sa beauté. Littéralement pétrifiés... Éblouis.

 

Cette femme incarne l’archétype de la Femme Fatale. Une femme puissante, séduisante, séductrice. « Prédatrice ». Qui n’hésite pas à user de ses charmes pour utiliser les hommes à sa guise. Cette femme est un objet de désir, mais elle est aussi le sujet de son plaisir. D’où le mythe de la “Femme-Serpent”.

 

Depuis des temps immémoriaux, et ce dans toutes les cultures, la Femme-Serpent est porteuse d’un fort symbolisme. De tout temps, la Femme-Serpent a excité l’imaginaire collectif, par sa puissance redoutable et son pouvoir de séduction. De Medusa à Echidna, en passant par la Nure-Onna, Mami Wata, ou encore Mélusine, cette femme fatale à l’identité serpentine, fascine. On le voit d’ailleurs dans Cartier Santos, dont elle est la muse inspiratrice.

 

Je trouve cela habile d’utiliser la métaphore du serpent, pour la déployer et l’étendre au mythe de la Gorgone. Je trouve cela intéressant de pousser l’idée de femme vénale, à celle de femme vénéneuse. Femme fatale. Venimeuse pour les mâles. 

 

Dans le clip (comme dans le mythe), Medusa les transforme en pierre. Ces images saisissantes illustrent la puissance de la Gorgone, représentée comme une femme au cœur de pierre… Tant la Femme décrite dans Cartier Santos, chérit les pierres précieuses. Du Serpent à Medusa, en passant par la pierre, les parallélismes sont intéressants. Toutefois, ces correspondances occultent un pan essentiel de l’histoire.

 

Medusa est une femme violée. 

 

L’anti-héroïne, victime de violences sexuelles 

 

D’une beauté bouleversante, Medusa était une jeune femme qui allait au temple d’Athéna. Tous les hommes la désiraient et voulaient s’adonner au plaisir charnel avec elle. 

 

Objet de désir, l’on disait qu’elle déconcentrait les hommes du temple. 

 

Un beau jour, le dieu Poséidon viole Medusa dans le Temple d’Athéna. Suite à ce drame, la déesse Athéna ne trouve rien de mieux à faire que maudire Medusa. Elle transforme sa magnifique chevelure en serpents et lui inflige un regard pétrifiant. Une autre version raconte que Medusa était une femme si belle, qu’elle s’enorgueillissait de sa beauté. Son arrogance suscita le courroux d’Athéna. Verte de jalousie, la déesse guerrière lui infligea cette malédiction serpentine. 

 

Quoi qu’il en soit, Medusa est victime du désir phallique des hommes et de la jalousie sadique des femmes. Misogynie et phallocratie sont au cœur de cette œuvre, comme un miroir de la société. 

 

Forts de ce savoir, on peut se questionner sur le parti pris de l’artiste ou du moins sur ses intentions. Sur la portée du message. Pourquoi choisir Medusa, une femme victime de violences sexuelles, humiliée, pétrifiée, pour incarner une femme dite vénale ? On y voit là une lecture partielle ou erronée de l’histoire, une réécriture du mythe au service d’un message tristement douloureux.

 

Cette anti-héroïne, si souvent vilipendée, est en fait une victime de violences sexuelles.

 

C’est aussi la victime d’une terrible malédiction.

 

Dans le film Kirikou et la Sorcière de Michel Ocelot (1998), Karaba est présentée comme une sorcière terrorisant tout le village... Alors qu’elle est en réalité victime d’un viol collectif. Comme Karaba, Medusa est une anti-héroïne, victime de la violence des hommes et de la jalousie complice des femmes. Une anti-héroïne, héroïne de sa propre histoire.

 

Des violences sexuelles à la malédiction d’Athéna, ces souffrances perpétrées ne suffisent pas. Puisque la belle Medusa est aussi victime d’un meurtre.

 

CARTIER SANTOS : Autopsie d’un « crime passionnel », sur fond de fresque mythologique 

 

Les images du film dépeignent Medusa comme un serpent. Un Serpent blanc…

 

Dans le clip Cartier Santos, SDM tient un couteau, une petite épée, et tranche le Serpent blanc. Il le coupe en deux, faisant jaillir son sang. Ce serpent est une métaphore de la femme. Ce serpent est la femme. On la voit d’ailleurs mourir simultanément, sous les coups du couteau, fondant en larmes et noyée dans une mare de sang. Comme le Serpent blanc, le sang et les larmes de la femme, sont d’un blanc argenté… Seules marques de son innocence, face à la cruauté des hommes.


Femme noire, le contraste avec le serpent blanc et les éléments de beauté, offrent une certaine élégance visuelle, mais aussi symbolique. Tout est finement pensé. De son regard à sa coiffure, en passant par ses courbes. Sa taille svelte et ses formes onduleuses évoquent la valse du serpent. Regard perçant, chevelure d’argent. Cette femme incarne la puissance, la beauté, la féminité. Le serpent symbolise la sagesse, la connaissance, la transformation, et donc la renaissance, mais aussi la ruse et la perfidie.

 

Une fresque murale confirme la nature serpentine de cette sylphide.

 

Ainsi l’artiste assassine la Femme, comme Persée tue Medusa.

 

De façon métaphorique, on assiste à un féminicide. Une analyse pour le moins cinglante, une épiphanie sanglante, face au nombre de féminicides qui augmentent chaque jour.

 

Pétrifié(e), médusé(e), le spectateur / la spectatrice

est le témoin oculaire d’un féminicide. Un uxoricide.

 

Est-ce là la philosophie de A.L.V.A.L.M. ? 

L’amour “A la vie à la mort” ?

 

Permettez-moi d’en douter, sans pour autant s’aveugler.

 

Medusa, Femme noire : la métaphore du Serpent blanc

 

Malgré sa splendeur cinématographique, je ne suis pas séduite par l’univers visuel, car je n’aime pas les décors sombres et lucifériens. Les espaces clos angoissants. Cependant, j’ai été captivée par la présence de la Femme. Femme noire et Serpent blanc.

 

J’ai tout de suite été happée par la beauté majestueuse de cette femme, aux airs de Lous and The Yakuza. J’ai adoré voir une Femme Noire camper délicieusement son rôle de Déesse. Sa présence et sa posture, sur un autel, confirment son statut de Prêtresse. Sous les traits de la divine Keza, elle figure le mystère du féminin sacré. D’une beauté sculpturale, elle trône sur un piédestal.

 

Par ailleurs, je trouve cela intéressant que la Femme Noire incarne un Serpent blanc. Qu’est-ce que cela dit de la femme ? Et de notre société ? 

 

Cette image s’inspire d’une légende très connue de la mythologie chinoise : la légende du Serpent blanc. La légende du serpent blanc raconte la rencontre entre un apothicaire et une jeune femme. Ils vivent une histoire d’amour et se marient. Cette femme est en réalité un serpent. À force de méditation au fil des siècles, ce serpent s’est transformé en femme. Une belle femme qui rencontre l’amour et incarne la liberté. Son mari, un apothicaire modeste, ignore sa vraie nature.

 

À la lumière de cette légende chinoise, le parallélisme avec l’histoire de SDM est clair. Le rappeur s’identifie à l’apoticaire, un homme modeste, tandis que la femme dont il parle, revêt l’apparence d’un serpent, de par sa nature vénéneuse (et ses goûts de luxe).



Selon des études chinoises, le serpent blanc symbolise la liberté féminine. (Ho Kin-chung, « Le serpent blanc, figure de la liberté féminine », Études chinoises, vol. XI, numéro 1, 1992)

 

En ce sens, je trouve cela beau que le Serpent Blanc se transforme en belle Femme Noire. Je vois dans ces images et dans cette légende chinoise, une poésie exquise, qui contraste avec la froideur et le message du clip. 

 

Pour revenir à Cartier Santos, on a évoqué les violences sexuelles subies par Medusa, ainsi que le féminicide dont elle est victime. Le fait que ce soit une femme noire rajoute une autre dimension au propos. Ce que certaines féministes intersectionnelles ou militantes afro-féministes appellent la « misogynoir ». Autrement dit, la misogynie exercée envers les femmes noires. Ce concept (womaniste) a été créé par la féministe afroaméricaine Moya Bailey, tenant compte de la race et du genre, pour désigner la spécificité des violences, liées au fait d’être une femme noire.

 

Femme Noire ou Serpent blanc, Medusa incarne une douleur ancestrale, portée par toutes les femmes. À suivre... Un article de Maureen KAKOU.



 

 

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