Les illusions perdues au Théâtre de l’Atelier : une adaptation au titre prémonitoire.
- Mélanie GAUDRY
- 14 sept. 2024
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 sept. 2024

Du 7 septembre au 6 octobre prochain, le Théâtre de l’Atelier propose une mise en scène contemporaine du chef d’œuvre de Balzac, second volume du cycle de Vautrin : Les illusions perdues. Sous la direction de Pauline Bayle, la pièce redonne vie au roman phare de la Comédie Humaine, prés de trois ans après son adaptation cinématographique ratée. Ce classique si injustement maltraité par le cinéma sera-t-il réhabilité par le théâtre ? Telle est la question que se posent les balzaciens échaudés par le film de Xavier Giannoli qui se pressent au milieu des novices et autres curieux lors de la première. Car si Balzac a su mettre en scène ses personnages tout au long de son énorme fresque littéraire qu’est la Comédie Humaine, une pièce unique saura t-elle en retranscrire la substantifique moelle pour reprendre l’expression Rabelaisienne ?Plus largement, une satire sociale des années 1820 a-t-elle une raison d’être une fois remise au goût du jour ?
Balzac ressuscité
Les Illusions perdues (1837-1843) est probablement l'un des romans les plus complexes de Balzac (1799-1850) par la richesse des problématiques traitées mais surtout par la complexité des personnages.
Deuxième volet en trois tomes du cycle de Vautrin comportant Le Père Goriot et Splendeurs et misères des courtisanes, le roman est une critique sociétale mettant principalement en scène Lucien Chardon de Rubempré, un jeune homme aux antipodes des héros de romans initiatiques de l’époque. Balzac dépeint avec mordant l’univers du journalisme parisien de la première partie du XIXème siècle - dont il est lui-même issu - mais également les affres de la vie de province dans un régime politique nostalgique de l’Ancien Régime.
Contrairement à Eugène de Rastignac qui a pleinement conscience de l’injustice du Monde et qui décidera d’en jouer après avoir versé sa « dernière larme de jeune homme » (Le Père Goriot) , Lucien est un idéaliste incapable de faire des compromis. En dépit de son caractère gascon, il se laisse happer par ses rêves, devenir poète reconnu et, à l’inverse de son double littéraire, en payera le prix le plus élevé. Si, pour apprécier le roman, il nous faut lire – a minima – le triptyque dans sa totalité, une adaptation théâtrale réussie apparaît comme difficilement envisageable. Si de gros moyens et un casting cinq étoiles auraient pu limiter les dégâts, le choix de Pauline Bayle d’exhumer l’œuvre pour en faire un spectacle contemporain entérine toute possibilité de réussite. En outre, la Comédie Humaine devant sa postérité à une analyse acerbe de son époque ne saurait s’implanter au XXIème siècle sans perdre ni de sa superbe ni de son intérêt originel. À moins peut-être d’y incorporer une Dolorean et de miser sur le second degré. Et encore.
Lucien est une femme

Nous sommes en 2020 lorsque Pauline Bayle émet la volonté d’adapter l’œuvre de Balzac au Théâtre de la Bastille. Le confinement en retardera la sentence puisqu’une seule représentation sera finalement jouée. Acte manqué ou hasard du calendrier, les représentations reprendront de façon plus intimiste au Théâtre public de Montreuil en 2022 avant de rejoindre le Théâtre de l’Atelier pour la rentrée des Théâtres 2024.
Sur scène, nul décor mais bien un ring de boxe. Épuré paraît un bien grand mot en matière de décoration puisque celle-ci est quasi inexistante mais convient parfaitement aux personnages. En effet, si le roman en comptait une cinquantaine, ici, seuls cinq ont survécu à l’épuration scénaristique. De jeune homme à la beauté comparable à celle de Bel-Ami, Lucien Chardon de Rubempré est devenu une femme, banale de surcroît. Quant à Jacques Collin - Vautrin, l’autre personnage phare de l’œuvre, il subit le même sort cruel. L’essence même de l’œuvre disparaît dès l’ouverture de la pièce, laquelle commence directement à Paris et non à Angoulême, bafouant une fois encore la volonté de Balzac de dépeindre aussi bien des scènes de vies provinciales comme parisiennes. Rappelons que le but premier de la Comédie Humaine est de décrire avec exactitude différents milieux sociaux du XIXème siècle, chose qui comprend la mise en comparaison entre les mœurs de Paris et ceux du reste de la France. Pauline Bayle justifie ce choix par une volonté de centrer sa pièce sur les échecs de Lucien. Soit. Mais encore faudrait-il que ce soit ces derniers les véritables causes de la perte de notre héros et qu’ils le définissent. Or, le jeune homme est avant tout victime de son temps, en proie au « mal du siècle » et dont les illusions certes naïves lui confèrent un côté attachant. S’il était né quelques années plus tôt, ses ambitions romantiques auraient pu être assouvies tant l’Empire Napoléonien valorisait la méritocratie. De plus, c’est son soutien envers la monarchie qui entérinera ses chances de réussir attendu qu'au sein du Paris des années 1820 seules de bonnes alliances permettent de se faire une place dans la société. Il s’agit d’un personnage trop complexe pour en faire un malheureux anti-héros dont les caractéristiques s’arrêteraient à son manque de succès.
De plus, Pauline Bayle a fait le choix de rendre Paris responsable des échecs de Lucien. Chacun des personnages présents – substituts de la ville lumière - viendra lui porter les coups qui, mis bout à bout, le mettront KO. Si notre héros est, bel et bien, victime de cette capitale trop idéalisée par les provinciaux dont il est, il ne faut pas oublier que ce sont ses mauvais choix qui le conduiront à sa perte dans Splendeurs et misères des courtisanes. Rastignac, son double littéraire, en est le parfait exemple puisqu’il a su déjouer les pièges que la capitale lui tendait pour mieux asservir ceux qui autrefois le rejetait. Si Eugène refusera le pacte de Vautrin – métaphore des tentations que Paris offre aux nouveaux venus - Lucien l’acceptera. En opposant les deux jeunes gens venus tous deux tenter leur chance loin de leurs provinces respectives, Balzac place le rôle du libre-arbitre au centre de son œuvre. Se laisser corrompre étant une solution de facilité qui n’assurera qu’un succès éphémère ou suivre le droit chemin et faire doucement ses preuves. Raphaël De Valentin, autre héros malheureux balzacien en subira lui-même les conséquences dans La Peau de Chagrin en dépit de l’avertissement de Rastignac. Le sortilège lui assurant une satisfaction rapide de ses désirs au détriment de sa longévité représentée par la Peau. À noter que la première partie du livre centrée sur l’état de l’imprimerie au début du XIXème siècle mais surtout sur l’amitié entre Lucien et David est complètement absente, retirant une part attachante du personnage principal. Car, qui dit œuvre initiatique dit apprentissage est celui de notre héros ne serait être complet sans son lien avec son beau-frère et sa réussite à Angoulême qui l’emmènera à tenter sa chance à Paris.
Tout au long de la pièce, Lucien version femme n’est prompt qu’à débattre avec ses camarades. C’est un personnage seul qui subit les attaques des autres protagonistes. Ne vous leurrez pas : le jeu est absent de la pièce au profit d’une lecture aux allures de joute verbale maladroite. Les bords de la scène façon ring de boxe laissent d’ailleurs envisager cette possibilité dès le départ. Les personnages débattent en criant de journalisme et d’ambition. Le tout à tour de rôle. Si nous évitons la cacophonie, nos oreilles ne peuvent s’empêcher de saigner. Et pour cause, le ring étant au centre de la salle, nous ne pouvons échapper ni aux cris ni au naufrage d’une interprétation gauche dont l’enjeu premier nous échappe. Quel est le but de cette adaptation puisque les problématiques initiales de l’œuvre brillent de par leur absence ? Pourquoi s’en prendre à un chef d’œuvre de la littérature française au point de l’amputer de son histoire et de ses personnages ?
Toutes illusions sont plus que jamais perdues quant à la qualité de cette pièce qui n’a plus rien de comparable avec l’œuvre de départ à l’exception de son titre prémonitoire. Si les novices, somme toute dépourvus d’éléments de comparaison, sauront possiblement lui trouver quelques qualités, il n’en est pas de même pour les Balzaciens qui ne songeront qu’aux coups portés au roman original.
Un article de Mélanie GAUDRY.
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